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18 mars 2011

les dernières bigoudènes ...

 

Voyage au pays des dernières Bigoudènes
par Katell Pouliquen
Elles incarnent le folklore breton, mais sont en voie de disparition. Seules
une dizaine d'habitantes du pays de Pont-l'Abbé (Finistère) arborent la
coiffe au quotidien. Confidences de résistantes

«Maria, elle a du startijenn!» (vitalité, en breton). René Coupa préside
l'association Ar Vro Vigoudenn, qui défend l'image et la culture du pays
bigouden, et il a trouvé en Maria une impeccable égérie. Elle est la doyenne
des Bigoudènes. 94 ans au compteur, quoique peut-être un peu moins: «Avec la
coiffe, on est vingt ans plus jeune, c'est pour ça que je la garde!» livre
la coquette. Elle a plus d'un tour dans son couvre-chef, clocher gracieux en
organdi immaculé, érigé à 35 centimètres de hauteur. «Je garderai ma coiffe
jusqu'à Dieu. Enfin, s'il y a un Dieu, on verra!» dit-elle en riant.


© Jérôme Chatin pour L'Express


Les Bigoudènes forment une fine équipe, qui devise en breton, avec un faible
pour les konchennoù (commérages).


Comme Maria, elles ne seraient plus qu'une dizaine à porter quotidiennement
la coiffe. Une poignée d'irréductibles qui perpétuent cette tradition
apparue dans le pays de Pont-l'Abbé au XIXe siècle. «Je ne suis pas habillée
quand je n'ai pas ma coiffe», confie Isabelle, bien qu'elle ne sorte presque
plus de chez elle. Les Bigoudènes résistent et se battent. Contre le vent,
invité permanent de la pointe de Penmarch, ce bout du monde sauvage où il
s'amuse à souffler dans leurs tourelles en dentelle. «Avec les bourrasques,
ça craque et ça tombe», soupire Maria. Contre les voitures exiguës, aussi,
qui les condamnent au torticolis sauf feu la 2 CV à l'habitacle gonflé,
vénérée par toutes ces dames. Contre le jugement social, enfin. «Dans le
temps, tout le monde portait la coiffe. Et puis, dans les années 1970, c'est
devenu la honte d'être bigoudène, ça signifiait que vous étiez arriérée!»
confie Anna. Marie-Jeanne poursuit: «Les femmes de notables ont peu à peu
retiré leur coiffe, car elles pouvaient se permettre de suivre la mode. La
Bigoudène, elle, ne change pas de mode.» «Ça faisait plus chic en chapeau!
confirme Marie-Louise. Il fallait se mettre à la mode de la ville, refuser
de parler breton. Bref, tout faire pour sortir de ses misérables sabots
remplis de paille», se souvient-elle.

Adresses
Crêperie Men Lann Du, sol en terre battue et coiffes de Bigoudènes sous
cloche. Parmi les habitués: des Bigoudènes, mais aussi Stéphane Diagana!
Route de Plomeur, à Penmarch, 02-98-82-01-06.
Association Startijenn Ar Vro Vigoudenn: l'association a créé un logo
repérable sur des produits ou prestations 100% pays bigouden. Infos:
02-98-87-63-72.
Grand défilé costumé, exposition de coiffes et fest-noz à Penmarch (phare
d'Eckmühl), le 23 juillet, à partir de 17 heures. Association Eckmühl
Couture, mise en valeur du costume bigouden.

Cette bande-ci n'a pas cédé. «On est nées avec une coiffe», dit Alexia. Ce
qui ne veut pas dire coiffées: toutes travaillaient, «à l'usine», «à la
criée», «à la ferme». Avant de partir, à l'aube, elles prenaient vingt
minutes pour enfiler leur couvre-chef et se piquer la tête d'une quarantaine
d'épingles. Un sacerdoce de la mèche! Séparer les longs cheveux (impératif)
en trois, placer le petit bonnet noir (koef bleo) sur la tête et le nouer à
la gorge. Fixer les cheveux sur le bonnet par un velours. Faire un petit
chignon sur le dessus de la tête et y épingler le ruban de velours
(bouloutenn), etc. Enfin, réaliser les accroche-cour à l'aide des deux
mèches de cheveux restées sur le devant. Un rituel immuable depuis la
puberté, quoique un peu ralenti désormais, pour les plus âgées, souvent
frappées d'arthrose.

Les dernières Bigoudènes forment une fine équipe, qui devise en breton, avec
un faible pour les konchennoù (les commérages). Car ce petit monde ne va pas
sans chamailleries. Il y a les stars, celles qui ont participé à la
publicité Tipiak (où Alexia lançait un tonitruant: «Pirates! Ils nous ont
volé notre recette»), et les autres. «Il existe peut-être un peu de jalousie
entre ses dames, avec des clans», relève discrètement René Coupa. Le clan
des bavardes, qui vont s'encanailler sur le plateau de Laurent Ruquier, et
les discrètes, qui se méfient de vos questions. «On a écrit tant de mal de
nous». Tant de clichés, surtout.

© Jérôme Chatin pour L'Express


Pour ces survivantes d'un autre temps, être bigoudène est un sacerdoce.

Car la Bigoudène est un raccourci facile pour dire la Bretagne. Une image
gentiment folklorique récupérée par la marque de tee-shirts A L'aise Breizh,
par exemple, qui fait de la Bigoudène son emblème et. son beurre. Par le
dessinateur Jean-Paul David, dont la Mam'Goudig, une Bigoudène replète et
hilare, s'affiche sur des milliers de cartes postales humoristiques. Par la
marque bretonne de vêtements de surf KanaBeach aussi, branchée en diable,
qui a imaginé une publicité assez rock'n'roll (vue dans Vogue): une jeune
femme nue sur talons aiguilles, juste vêtue d'une coiffe de Bigoudène. C'est
peu dire que ces récupérations provoquent l'ire des pures et dures. «Ils
exploitent notre image à toutes les sauces pour faire de l'argent!» enrage
la jolie mais sévère Marie-Louise.

«Pendant longtemps, la Bretagne fut assimilée à la pauvreté, à une forme de
rudesse et même à une vie un peu rustre. Et la Bigoudène, la plus
impressionnante des Bretonnes en coiffe, était confondue avec Bécassine.
Elle était dévalorisée, moquée, rappelle l'historien Joël Cornette, auteur
d'Histoire de la Bretagne et des Bretons (Seuil, 2005). Depuis une
génération, on assiste à la reconquête d'une fierté bretonne. On est passé
du plouc au Cheval d'orgueil [titre d'un livre de Pierre Jakez Hélias à la
gloire de la Bretagne]. Décomplexés, les jeunes de 20-30 ans ont besoin
d'affirmer leurs racines. La Bigoudène est glorifiée, elle devient un
étendard, alors que, paradoxalement, elle n'existe quasi plus, hormis dans
les fêtes traditionnelles et les pardons.» Ultime preuve, s'il en fallait,
que la Bigoudène a le vent en poupe bien au-delà de la pointe de Penmarch:
pour sa collection de prêt-à-porter printemps-été 2006, Jean Paul Gaultier a
fait défiler une Bigoudène glamour, coiffe en paille et bas sur talons
aiguilles. Gast! Les vieilles dames en perdent leur startijenn...


  ...depuis que cet article etait dans le dossier brouillon de mon blog , Maria a quitté le monde bigouden...

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